La légende de Sylvestre
Au temps de Constantin, le pape Sylvestre ayant accepté un trésor, ses collègues protestèrent, disant : N’avons nous pas reçu du Seigneur le précepte de ne posséder aucun bien temporel ? Il a dit « Ne prenez ni or, ni argent, ni monnaie dans vos ceintures, ni sac pour le voyage, ni deux tuniques, ni souliers, ni bâtons ; car l’ouvrier mérite « sa nourriture ». Et encore : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel ; puis viens et suis-moi ». Ainsi fut, et nous savons que Pierre, prenant la parole, lui dit : « Voici, nous avons tout quitté et nous t’avons tous suivi ». Mais ce Sylvestre tint un autre langage : « Si vous ne demeurez avec moi, dit-il à ses frères je vous enverrai en exil ». Ses frères se réjouirent de l’entendre, disant : Nous rendons grâce à Dieu, car si on nous refuse la terre pour avoir observé des préceptes, Lui nous offre le ciel. N’a t-il pas dit : »Quiconque aura quitté, à cause de mon nom, ses frères, ou ses sœurs, ou son père, ou sa mère, ou sa femme, ou ses enfants, ou ses terres, ou ses maisons, recevra le centuple et héritera la vie éternelle » ? La nuit suivante, comme ils disputaient encore Sylvestre, une voix retentit dans le ciel : »Aujourd’hui le venin a été répandu dans l’Eglise de Dieu ».Ayant ouïe cette voix, les pauvres de Christ allèrent de l’avant avec plus de courage, et ils furent chassés de la synagogue. Ainsi s’accomplissait la parole qui dit « Ils vous excluront des synagogues, et même l’heure vient où quiconque vous fera mourir croira entendre un culte de Dieu ». Ils furent donc dispersés sur toute la terre. En s’en allant, ils dirent à Sylvestre et à ses successeurs : Nous vous laissons la terre pour conserver le ciel. Ils s’appliquèrent donc à mener une vie pauvre, et leur nombre se multiplia pendant longtemps. Mais l’envie des faux chrétiens finit par se déchaîner contre eux, et ils furent poursuivis jusqu’aux extrémités du monde. Leurs ennemis disaient : « Brisons leurs liens ». Car nos adversaires se trompent en prétendant que les chrétiens n’ont jamais été persécutés que par les païens ; ils lisent mal les Ecritures, où l’on voit assez que les prophètes n’ont pas été mis à mort par les païens, mais par les juifs. Tout cela est écrit pour notre instruction, et afin de nous servir d’exemple ; ce qui est arrivé à saint Paul le prouve assez. Il est donc évident que les élus de Dieu sont exposés à la persécution de tous côtés, tant de la part des païens et des juifs, que de la part des faux chrétiens et de tout le monde, selon la parole du Seigneur qui a dit : ». Vous serez haïs de tout le monde à cause de mon nom ». Quand il est dit « tout le monde », rien n’est exclu. Il est certain, par conséquent, que les saints seront persécutés par leurs frères jusqu’à la fin du monde. Néanmoins, ils ne seront pas entièrement détruits. La puissance des méchants a des limites : la foi échappe à son atteinte.
En outre, sachez encore ceci, c’est que jadis, quand les serviteurs de Christ semblaient avoir disparu à cause de la persécution, un homme se leva. Il avait nom Pierre de Walle, et il avait un compagnon, Jean Lyonnais, ainsi appelé de la ville de Lyon. Nos adversaires le considèrent comme un fou, parce qu’il fut chassé de la synagogue. En réalité il surgit comme le rejeton, d’un arbre arrosé de l’eau de l’Esprit saint, et peu à peu il prospéra. On prétend qu’il n’aurait pas été le fondateur, mais le réformateur de notre règle S’il a été exclu de la synagogue, ce n’est que par le jugement des hommes, non par celui de Dieu ; cela est arrivé à d’autres. En sorte qu’il a pu dire à son tour, comme l’Apôtre : « Pour moi, il m’importe fort peu d’être jugé par vous, ou par un tribunal humain. Je ne me sens coupable de rien. Je ne me crois pas juste pour cela ; mais celui qui me juge, c’est le seigneur. Tel fut le maître de ceux qu’on a appelés Vaudois et ensuite Pauvres Lyonnais, pour avoir longtemps demeuré dans la ville de Lyon.
Epistola Waldensium de Italia, ms cod. St. Floria XI, 152, Klosterneugurg in Emile Comba, Histoire des Vaudois, Paris-Florence, 1898, p. 190-203La cène du jeudi saint
Lui ayant été posée la question si chez eux le presbytre, qui n’a pas le pouvoir de consacrer le corps du Christ, peut bénir le pain et le vin non dans le sens d’accomplir un holocauste ou un sacrifice mais en souvenir de cette bénédiction que Jésus fit du pain et du vin dans la Cène quand il transforma le pain et le vin en son corps et en son sang, il répondit que non.
Comme il avait déjà dit, leur « major » le jour de la Cène, après la neuvième heure, quand la Cène est préparée, lave les pieds de ses compagnons et les essuie avec un essuie-main qu’il porte à la taille. Après quoi, il s’assied à table avec eux et prenant le pain, le poisson et le vin, les bénit non comme un holocauste ou un sacrifice mais comme souvenir de la Cène du Seigneur.
En la faisant il prononce cette prière : Seigneur, Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, Dieu de nos pères et Père de notre Seigneur Jésus Christ, qui a ordonné que partout fussent offerts des holocaustes et des offrandes par la main des évèques et des prêtres tes serviteurs ; Jésus-Christ toi qui as béni cinq pains d’orge et deux poissons dans le désert et l’eau en la transformant en vin, veuille bénir – au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit – ce pain, ce poisson et ce vin, non comme sacrifice et holocauste mais comme simple commémoration de la Cène très sainte que Jésus Christ notre Seigneur fit avec ses disciples. Je ne suis en effet pas digne, Seigneur, de t’offrir avec des mains impures un don si précieux, et de recevoir avec des lèvres contaminées le corps très saint de notre Seigneur Jésus Christ.
Père miséricordieux nous te demandons par contre de bénir la substance de ce pain et de ce vin au nom du Père du Fils et du St-Esprit, Amen. Dispose mon âme, mon corps et tous mes sens et dirige mes gestes de telle façon que je sois digne de t’offrir ce corps très saint que les anges au ciel vénèrent. Dieu qui vit et règne dans tous les siècles, Amen.
Une fois faite ainsi la bénédiction du poisson et du vin, le « major » mange du dit pain et poisson et boit du vin, puis il en donne à tous ses compagnons et tous mangent du pain, du poisson et du vin. Mais aucun de ses éléments n’est donné à leurs fidèles, car ceux-ci n’en voudraient pas.
Il dit encore que quoique dans la prière mentionnée se trouve l’expression « je ne suis pas digne de t’offrir le sacrifice du corps très saint et du sang de Jésus Christ ton fils » ceci n’empêche pas que leur « major » consacre parfois à Pâques le corps et le sang de Christ, comme il avait dit auparavant.
Interrogé à propos du pouvoir et de l’efficacité que ce pain, poisson et vin ont, une fois bénis par leur major, il répondit que cette bénédiction n’ajoute aucun caractère particulier, mais ceci est fait exclusivement en souvenir de la Cène du Seigneur.
Déposition de Raymond de Costa lors de son procès en 1320 in J Duvernoy, Le Régistre d’inquisition de Jacques Fournier, Toulouse 1965, vol. I
Chiudi